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Constructeurs

PSA/GM : un pont suspendu

Publié le 14 mars 2012

Par Alexandre Guillet
6 min de lecture
Si un accord entre deux groupes de cette envergure est naturellement significatif, il convient de ne pas en tirer de conclusions hâtives et de se garder de jugements péremptoires. En effet, la construction d’une grande alliance ne peut s’envisager qu’à moyen terme et reste, pour l’heure, une hypothèse riche en variables, y compris exogènes.
D’un point de vue stratégique, l’accord semble plus favorable à PSA, ce qui explique aussi la prise de participation de GM dans le groupe français, sans réciprocité. Rappelons que la capitalisation boursière du groupe américain est dix fois supérieure à celle du français.

Tout d’abord, comme l’indique une note récente des experts du CIC Securities, PSA Peugeot Citroën n’avait pas le choix, “de plus en plus isolé et ne bénéficiant pas de la taille critique suffisante”. Le groupe a longtemps privilégié une politique de collaborations stratégiques ponctuelles (Ford, BMW, Toyota…), mais la crise, associée au problème des surcapacités et à l’offensive de certains concurrents en Europe (les groupes Volkswagen et Hyundai-Kia par exemple), a finalement eu raison du business-plan de PSA. Un constat sanctionné par des pertes annoncées au titre de l’exercice 2011 pour l’activité automobile. Les dirigeants de PSA et la famille Peugeot avaient identifié la menace et l’avaient même anticipée, comme en témoigne le fait qu’ils aient reconnu que les négociations avec GM avaient débuté il y a plus d’un an. N’en déplaise aux Cassandre, c’est à mettre à leur crédit. D’autant que d’autres pistes ont simultanément été explorées, selon le schéma inversé d’une association avec un groupe de taille inférieure, sans aboutir.

Accord inégal
Cependant, l’accord conclu avec General Motors est, qu’on le veuille ou non, inégal. La famille Peugeot demeure certes majoritaire, au capital comme en droits de vote, mais le groupe PSA n’obtient aucune part chez son nouvel allié et néanmoins concurrent. De son côté, GM prend une participation de 7 % dans PSA. Le montage prévoit une augmentation de capital, portant sur un milliard d’euros et en partie assumée par la holding FFP de la famille Peugeot. “Le cash dégagé par cette augmentation de capital va permettre de compenser les faibles perspectives de profits de l’année 2012, tout en jugulant la hausse de la dette du groupe”, estime Emmanuel Bulle, spécialiste du secteur automobile chez Fitch Ratings. Néanmoins, l’opération comprend aussi un effet de dilution pour les actionnaires, ce qui explique la réaction pour le moins contrastée de la Bourse.

L’exemple de Renault Nissan Purchazing Organization
Concrètement, l’accord conclu entre PSA et GM porte sur une durée de dix ans renouvelable. Le premier objectif est de mettre en place une co-entreprise dans le domaine des achats, afin de faire jouer l’effet volume et de réaliser des économies significatives. Une fois que les synergies seront effectives, Dan Akerson et Philippe Varin tablent sur deux milliards de dollars d’économies par an, d’ici cinq ans, un montant réparti paritairement entre les deux groupes. “Il semblerait que le but soit de parvenir à une organisation comparable à celle de Renault Nissan Purchasing Organization. Bien que Renault et Nissan soient des groupes distincts, avec des cultures de management différentes, cela leur permet en effet de partager beaucoup de choses”, indique Michael Robinet, d’IHS Automotive, avant d’ajouter : “Au vu de son volume d’achats, on peut penser que GM soit tenté de dupliquer ce modèle qui a fait ses preuves, mais considérant l’efficacité de sa réorganisation dans ce domaine, GM n’avait pas nécessairement besoin d’une alliance de cette nature pour aller plus avant dans cette voie…”.

Vers une mise en commun de plates-formes
Par ailleurs, l’accord comprend la possibilité de développer de nouvelles plates-formes, voire de nouveaux modèles, “si la collaboration se passe bien”, selon Stephen Girsky, vice-président de GM. Les citadines, les modèles de taille moyenne, les MPV et SUV entrent ainsi dans le champ des possibles à un horizon 2016, tandis que des projets sur le low-cost et les faibles émissions sont aussi à l’étude. A l’image des analystes d’Euler Hermes, Meïssa Tall, expert chez Kurt Salmon, juge donc positivement cet accord : “Ce rapprochement apporte à PSA des solutions face à ses problématiques de besoin de cash, de réduction de coût d’investissement, notamment le développement produits, d’optimisation de sa performance achats, qui constitue plus de 70 % du coût de production du véhicule. A terme, cette alliance peut ouvrir à PSA l’accès au marché américain qui est le plus rentable au monde. Pour GM, l’intérêt sera sur l’accès à des technologies de pointe, notamment sur la basse consommation et les faibles émissions de CO2, une réduction des coûts achats et une alliance stratégique sur le marché européen”.

GM cherche-t-il à court-circuiter Fiat-Chrysler ?
Une analyse que ne partagent pas forcément tous les observateurs. Ainsi, Michael Robinet se montre sceptique sur l’intérêt de GM dans cet accord. Il envisage dès lors un scénario “jeu d’échecs”, dans la veine du coup de positionnement : “En l’état, l’accord est assurément plus avantageux pour PSA que pour GM. Toutefois, l’une des pistes qui justifierait le choix de GM renvoie à Fiat-Chrysler. Après l’annonce, Sergio Marchionne a d’ailleurs confirmé qu’il restait ouvert à un rapprochement avec le groupe français. Les deux groupes collaborent déjà sur le VUL. Par ailleurs, Fiat-Chrysler cherche un moyen d’accès en Chine, un marché sur lequel PSA est présent depuis de longues années. En outre, des synergies pertinentes sont possibles pour les deux groupes en Amérique du Sud. Bref, le conglomérat italo-américain semble mieux assorti à PSA que GM. C’est précisément ce qui pourrait expliquer le choix de GM : une décision stratégique qui viendrait priver Fiat-Chrysler d’une alliance ardemment souhaitée”. Et Michael Robinet d’ajouter que cet accord ne concerne pas à court terme les problèmes urgents à résoudre des deux groupes, à savoir les pertes en Europe et les surcapacités industrielles. Selon lui, c’est ce qui explique la frilosité des commentaires ayant accueilli l’annonce.

Inévitable facture sociale
Reste à savoir comment PSA et GM Europe, en l’occurrence Opel/Vauxhall, peuvent mutuellement s’aider pour sortir de l’ornière en Europe… Sachant que les marques resteront pleinement autonomes et que Chevrolet est désormais bien implantée dans la zone et de surcroît dans une dynamique positive. “Au-delà des économies d’échelle qui peuvent bénéficier aux deux acteurs de l’accord, le volet politique et social devra être étudié avec attention”, soulignent ainsi Pietro Boggia et Martyn Briggs de Frost&Sullivan. Si des synergies sont envisageables à l’avenir, on ne voit pas comment l’accord pourrait éviter la casse. D’ailleurs, les deux groupes ont préparé le terrain. Philippe Varin a annoncé un vaste plan social, qui concerne notamment 5 000 emplois en France, tandis que GM vient de constituer une nouvelle task-force pour restructurer Opel, même si l’emploi est théoriquement protégé jusqu’en 2014 par un accord. Pour de nombreux analystes, des usines sont directement visées et des licenciements sont inévitables. Lors de l’audition au Sénat des constructeurs français début février, Denis Martin, directeur industriel de PSA, avait d’ailleurs souligné qu’on ne pouvait pas imaginer que toutes les usines restent dans le périmètre européen, lâchant notamment que la situation du site de Madrid était encore plus préoccupante que celle d’Aulnay. Accord ou non, la rationalisation de la production en Europe est donc la priorité des deux groupes. Vis-à-vis de l’opinion publique, certaines décisions douloureuses pourraient être plus faciles à faire passer, avec le soutien des gouvernements, si elles s’accompagnent sur un engagement de pérennité d’autres sites…
 

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